Cloudchord: cultiver le jardin Bloom Bap
La pochette du dernier album de Cloudchord, Bloom Bap, est illustrée par une guitare dont le manche forme des boucles et se mue en branche, puis longe une souche d'arbre servant de platine vinyle. L'image tripante de ce jardin nocturne illustre parfaitement la musique de Derek VanScoten, dont les couches de guitare sophistiquées accompagnent des rythmes hip-hop, des accords jazzy et des passages funky.
Dans la mesure où le titre Bloom Bap est né de la tentative de Derek de décrire sa musique, notre entretien avec lui est également empreint de verdure : les idées musicales y sont des graines, les longues boucles de 16 mesures composent un écosystème, et le travail créatif a besoin de soleil pour murir. En tant que Formateur certifié Ableton, Derek a eu toute latitude de trouver des formules imagées pour décrire son processus créatif et son approche esthétique. Les modèles de Sets Live et de Racks d'effets de Derek comprennent des configurations intéressantes pour travailler avec différents instruments ainsi que des solutions pour transformer de petites idées en véritables morceaux. Derek a eu la gentillesse de partager gratuitement son Amp Rack de guitare neo soul.
Requiert Ableton Live 11 Suite
David Abravanel s'est récemment entretenu avec Derek pour discuter de son dernier album, de l'importance de l'improvisation sur scène, de sa participation à la production des légendaires Disco Biscuits, et bien plus encore.
Tu as partagé d'excellent Racks, lesquels fonctionnent comme de très bons modules pour générer quelques-uns des sons et nuances que l'on peut obtenir avec des pédales de guitare.
Les racks que j'ai créés sont tous regroupés dans une chaîne unique. On peut littéralement passer de l'instrument à l'interface, puis de Live à la console sans rien ajouter. Il suffit de tourner le bouton de volume, et c'est parti pour toute la nuit. Il faudra sûrement utiliser l'automatisation des clips pour modifier les presets, mais ça, c'est encore une autre histoire. Je voulais permettre aux guitaristes d'obtenir de bonnes sonorités avec le moins d'éléments supplémentaires possible. Tout le monde possède une interface, un laptop et un casque. Mais, est-il vraiment possible d'obtenir un bon son de guitare avec tout ce qui est déjà fourni par l'instrument dans les dossiers d'effets? C'était là mon attention.
On dit souvent qu'il est difficile de reproduire les subtilités du hardware, en particulier tout ce qui concerne les pédales d'effets. Que réponds-tu à un élève qui te demande pourquoi quelque chose sonne “trop numérique” ou “trop brillant”?
En général, ma première question est la suivante: la compression est-elle placée avant l'interface? C'est très important. C'est quelque chose que j'ai découvert assez tôt en jouant de la guitare en DI. Quand tu mets de la compression avant l'interface, ton préampli ou n'importe quoi d'autre qui arrive dans le DAW, ça permet vraiment d'harmoniser les sons et de mieux les définir. Beaucoup de gens m'ont dit, tu sais, j'ai acheté une MXR sur Reverb pour 50 dollards suite à ce que tu as dit, et ça fait une grande différence! Car ce qui se passe aussi, c'est que les amplis à lampes et les enceintes compressent naturellement le son. Et les musiciens utilisent toujours des compresseurs avec leur pédalier de toute façon, donc ça fait office de doublon. Alors pourquoi ne pas faire la même chose quand on branche une guitare en DI?
C'est intéressant! Et tu dis bien : « avant d'entrer dans l'interface ». Il ne s'agit donc pas simplement de placer un compresseur au début d'une chaîne d'effets dans Live, mais bien en amont même du convertisseur A/N.
Oui, je fais les deux. Je suis un grand fan de la compression en série. Je ne mets pas trop de compression à un endroit précis de ma chaîne, mais juste un peu ici et là, pour donner un peu plus d'ampleur.
Comment te lances-tu dans la création de nouvelles idées? As-tu des modèles à proposer?
Ma bibliothèque utilisateur est très complète et très bien organisée. Je peux donc accéder rapidement à n'importe quel ensemble de sons dont j'ai besoin car je n'ai pas la patience de chercher dans tous les presets. Je préfère jouer de la guitare plutôt que de parcourir tous les dossiers. Tous mes racks d'amplis sont regroupés dans un même dossier, donc si j’en ai besoin d'un, hop !, il est là. Mais ouais, je suis littéralement le gars zen à la toile blanche. Lorsque j'ouvre mon Live, il y a deux pistes MIDI et audio vierges avec une énorme bibliothèque utilisateur à disposition.
On a l'impression que tu as passé beaucoup de temps à tout organiser pour pouvoir trouver ce dont tu as besoin assez rapidement.
Oui, une grande partie de ma bibliothèque utilisateur vient des cours que j'ai donné ; soit lors d'un événement officiel d'Ableton ou d'un cours individuel où je me suis dit : “ Tiens, ce rack d'effets est vraiment cool ! ” Je le mets dans mon dossier Effets.
Que fais-tu au moment de composer de la musique? Comment évites-tu l'angoisse de la page blanche ou le piège des boucles trop répétitives?
Une chose que j'ai déjà testée, c'est de prendre un break de batterie de 16 mesures, une boucle de guitare de 8 mesures que j'ai enregistrée et encore autre chose. J'harmonise un peu le tout et je compose à partir de là. Le morceau tout entier repose sur des boucles, alors je vois si je peux le faire sonner comme une composition, afin qu'il n'y ait pas de répétitions à proprement parler.
Pour moi, c'est un défi amusant car je suis rarement amené à jouer de la guitare et à produire en même temps. Souvent, quand je joue de la guitare, je trouve des idées que je garde pour les utiliser éventuellement plus tard comme boucle. Puis, quand je suis d'humeur à créer des rythmes, je mets ma guitare de côté et je ressors les boucles pour en faire un rythme complet. Pour adapter ces idées sur une durée de deux à six minutes, la question est de savoir si je peux en faire un morceau entier sans que cela sonne répétitif, même s'il provient d'une boucle de huit mesures. Qu'il s'agisse de supprimer des éléments de la boucle, d'en modifier la hauteur, d'y ajouter un stutter ou d'autres éléments, il y a tout un ensemble de choses que l'on peut faire pour transformer un élément basé sur une boucle en quelque chose de beaucoup plus vivant et excitant, et qui ne se répète pas.
Au risque de paraître rabat-joie, l'étape de l'arrangement d'un morceau ressemble parfois à une corvée, à la phase la moins amusante du processus. Comment envisages-tu cela?
C'est un problème que rencontrent de nombreux musiciens live au moment du processus de production. Je connais beaucoup de musiciens qui gagnent leur vie en jouant sur scène et qui se disent : “Je vais commencer quelque chose, mais ne comptez pas sur moi pour le terminer.” Parce qu'en fait, ils ne sont pas doués pour [programmer] une batterie et ils ne savent pas comment finaliser un rythme.
J'essaie d'avoir des outils de précision dans ma bibliothèque de rythmes afin de pouvoir créer un beat de batterie entier pour un morceau en l'espace d'une heure ou deux. Ce n'est pas quelque chose sur lequel je travaille pendant des mois ou des semaines. C'est un domaine de compétences à part entière, assez complexe, qui permet de passer d'une boucle de huit mesures à un rythme dingue. Pour moi, c'est un peu comme quand j'étudiais le classique et que je suis tombé amoureux du hip-hop à cause des samples, peut-être parce que c'est arrivé en même temps, j'étais tout aussi déterminé à devenir bon dans les deux domaines.
Aujourd'hui, il y a des gens qui ne composent que des boucles. Ils en produisent un grand nombre rapidement et les envoient à des producteurs qui s'en inspirent. Quand tu travailles avec tes élèves, comment les amènes-tu à réfléchir à la question?
L'un des exercices consiste à déclencher un chrono qui oblige les élèves à prendre un certain nombre de décisions dans un laps de temps donné. Donc, si je donne un cours d'une heure à quelqu'un, je cherche à déterminer notre objectif. À la 59e minute, on aimerait avoir une belle boucle de huit mesures, n'est-ce pas ? On va donc travailler à rebours, puis définir des timers et prendre des décisions. J'utilise le dispositif Pomodoro de Max for Live que l'on peut placer dans un coin de l'écran et en visualiser le compte à rebours. Ça peut être éprouvant pour les nerfs, mais c'est un bon exercice. Cela améliore la prise de décision et permet de ne pas s'attarder trop longtemps sur un micro-détail.
Tu as qualifié tes boucles de “graines”, les plantes représentent donc les morceaux finis?
Je vois souvent les boucles comme de petites graines qui ne sont pas très intéressantes en l'état. Il faut les faire germer, les planter et continuer à les arroser et à leur donner du soleil. C'est parfois décourageant de devoir passer par toutes ces étapes. Mais ce qui est sympa, c'est que quand on est en mode "germination", on se dit : “Je n'ai qu'à créer de petites idées pendant un certain temps.” Et c'est justement ce que j'ai appris à faire en créant des packs de samples. Je peux rester en mode "germination", me contenter du premier jet pour l'instant, ne pas avoir à développer l'ensemble ni à me consacrer à quelque chose de trop important. Je vais faire une boucle de quatre mesures, ok, super. Puis j'ajoute une autre partie par-dessus. Ok, cette idée est finie, passons à la prochaine boucle de quatre mesures!
J'ai vu également ce à quoi tu fais allusion dans ta série “Lick of the Day” sur TikTok. Tu as parfois une boucle de huit mesures sur laquelle tu ajoutes un petit riff qui peut fonctionner pour une Beat tape. Mais comment ça se passe quand tu veux faire un morceau? Comment fais-tu pour savoir quelles sont les parties de boucles qui sonnent bien ensemble?
De nombreuses personnes dans le milieu de la musique parlent actuellement du livre de Rick Rubin qui traite de ce sujet. Il dit que l'une de ces "graines créatives" est capable de capturer l'électricité. Et la réponse se résume effectivement à l'électricité. On doit sentir ce courant électrique émaner de cette idée. Puis, on le transfère dans le sol. [Parfois], une idée nous rend très enthousiaste, mais pour une raison ou une autre, elle finit par mourir sans que l'on sache pourquoi. D'autres fois, on se dit : “Cette graine ne va pas tenir le coup” et elle finit par devenir la plus grosse plante du jardin. Le mot “électricité” représente pour moi une notion obscure, spirituelle et musicale. Mais en réalité, c'est l'écoute qui m'intéresse. C'est une écoute en tant que fan. C'est une écoute plus inconsciente. Je marche dans la pièce et je me demande si mon âme, mon corps et mon esprit ressentent la même chose, à savoir une émotion positive et électrisante. C'est comme ça que je prends une décision.
Penses-tu qu'une certaine distance entre la création d'un morceau et son écoute est nécessaire ? De pouvoir revenir et écouter le morceau en entier plutôt que des parties distinctes?
Faire des pauses, qu'il s'agisse de 27 minutes ou de 27 jours, permet de prendre du recul, car bien souvent, on cesse d'écouter comme un fan. L'une des choses que j'aime faire quand je travaille sur des projets plus longs, c'est de créer des listes de lecture privées sur SoundCloud, de partir faire du VTT et de les écouter avec mes AirPods. Je mesure ce que je ressens quand je roule au moment du passage d'un morceau à l'autre. Est-ce que c'est fluide? Y a-t-il des changements à faire auxquels je n'aurais pas pensé si j'avais eu les yeux rivés sur l'écran?
Le tout premier morceau [de Bloom Bap], Junior High Dance est arrivé assez rapidement. Le rythme était là dès la cinquième ou neuvième mesure. Quand j'étais sur mon VTT, je me suis dit : “Holà, c'est un peu too much, et ça arrive trop tôt. J'ai envie d'un peu de préliminaires, si tu vois ce que je veux dire ?” Je voulais avoir un crescendo.
Je pense que cette énorme collaboration [avec Emancipator] a connu plusieurs versions avant celle que nous avons initiée. En fait, il existe une version de ce morceau que je joue en concert et qui commence par le rythme et non par la voix. Et puis un jour, je suis revenu dessus. Je ne voulais pas commencer par la batterie, mais je ne savais pas non plus quoi faire d'autre. Puis, je me souviens avoir muté le son de certaines pistes par erreur. Il n'y avait que les voix qui jouaient, et je me suis dit : “Là, on accroche!”
Télécharger les pistes de "Junior High Dance" par Cloudchord x Emancipator
Remarque : les pistes incluses sont destinées à un usage éducatif uniquement et ne peuvent pas être utilisées à des fins commerciales.
Quand tu es sur scène, comment choisis-tu les instruments ou les éléments sur lesquels tu souhaites te concentrer à un moment donné?
Au final, les gens vont voir des concerts car ils veulent se divertir et être impressionnés, n'est-ce pas ? Pour moi, la réponse réside en grande partie en cela. Je joue un morceau et je me demande quel est le passage qui a le plus d'impact en termes de performance. Parfois, je ne joue pas de guitare sur un morceau car c'est le Push qui donne le ton. D'autres fois, c'est vraiment sympa de commencer par des boucles de guitare.
Souvent, je commence mon concert avec des boucles de guitare et par quelque chose de très simple, puis, en quelques minutes, on se retrouve avec un morceau totalement produit. Mais c'est aussi une question de fluidité, car même si je joue de la guitare à fond, au bout de 27 minutes, les gens ont envie de passer à autre chose. Il m'arrive donc de poser ma guitare, de jouer de la lap steel et du Push pendant les quatre minutes suivantes, histoire de mélanger les genres.
Quand j'étais en Islande il y a deux semaines, Jon the Barber, le guitariste et principal compositeur des Disco Biscuits, m'a dit : “Je suis surpris que tu ne joues pas sur une guitare plus futuriste avec ton son.” Je lui ai répondu que mes sons sonnaient déjà très futuristes par rapport à un autre groupe live, et que j'aimais bien le retour des guitares demi-caisse, car je me considère comme un mélange de Wes Montgomery et d'un producteur de hip-hop des temps modernes.
C'est intéressant que tu mentionnes les Disco Biscuits – c'est probablement l'un des premiers groupes de jam que j'ai entendus qui faisait allusion à l'utilisation d'un ordinateur sur un album, et qui s'est fait connaître ensuite en évoluant à travers différents styles et techniques.
Oui. C'est comme ça que je suis devenu leur producteur, car ils m'ont d'abord embauché en tant que conseiller Ableton. Ils tentaient de nouvelles choses sur scène et utilisaient Link. Tous les membres du groupe avaient Live et exploraient différents moyens d'insérer de la dance music à leur live. Puis la pandémie est arrivée, et tout a changé. Ils ne tournaient plus aussi souvent alors que j’étais là [initialement] pour les conseiller dans leur live. Mais nous avons adoré travailler ensemble et une chose en entraînant une autre, je suis maintenant en train de produire leur premier album en dix ans.
Tu as étudié de nombreux styles musicaux. Comment es-tu venu à la musique et pourquoi as-tu fini par travailler avec ta guitare dans un environnement électronique?
J'ai commencé la musique car je voulais être un "guitar hero". Mes premières influences étaient les zikos de toutes ces générations, du rock and roll aux années 70, en passant par les années 80. Je raffolais du grunge parce que j'aimais son côté décalé et turbulent. J'aime la musique classique. Béla Fleck est l'un de mes héros.
J'ai grandi en jouant du rock dans les bars, puis j'ai étudié la production à l'université, avant de bifurquer et d'étudier la musique classique. Et ce qui est amusant dans cette combinaison de genre, c'est que c'est lorsque j'étudiais la musique classique que je suis tombé amoureux du hip-hop. C’est arrivé en même temps dans ma vie. J'avais l'impression de faire du travail au noir avec le hip-hop par rapport à ce que je faisais le jour. Mais pour moi, tous ces genres ont contribué à mon épanouissement. C'est le hip-hop qui reprenait des samples de grands musiciens qui m'a le plus parlé. Ce n'était même pas vraiment des trucs MIDI. C'était les samples de performances live – comme sur Jazzmatazz du rappeur Guru, un album qui m'a interpellé car j'étais en train d'étudier George Benson ou Wes Montgomery, alors ça me parlait vraiment. Et puis, j'ai toujours voulu improviser.
Au final, cela se retrouve dans ma manière de faire des rythmes et dans le fait que j'improvise. Je vais essayer d'autres choses. J'aime remettre en question mes propres méthodes.
Suivez Cloudchord sur Twitch, Spotify et Instagram
Texte et interview de David Abravanel