Alan Sparhawk : J'ai créé ce beat
On ressent vraiment la passion d’Alan Sparhawk lorsqu’il chante"I Made This Beat"sur son nouvel album White Roses, My God. Les paroles se résument au titre de la chanson, répété comme un mantra sur une voix corrigée de façon extrême, portée par une rythmique entêtante mêlant synthé et boîte à rythmes.
"J'ai créé ce beat", raconte-t-il."La première chose qui m’est venue, c’était à quel point j’étais excité que ça arrive. À chaque fois que je le disais, j’avais envie de le répéter. Plus je tournais les boutons, plus je me disais :"Ouais ! Bien sûr, c’est moi qui ai fait ce beat.""
Quiconque a déjà ressenti l’euphorie de synchroniser quelques patterns pour créer une séquence comprendra l’enthousiasme de Sparhawk. Cette chanson, véritable célébration de la production musicale électronique, marque une rupture radicale pour un artiste dont la carrière est solidement ancrée dans l’histoire du rock alternatif. Sparhawk est surtout connu comme le leader de Low, le groupe qu’il formait avec sa femme, feu Mimi Parker, depuis leurs débuts en tant que jeunes mariés dans leur ville natale de Duluth, dans le Minnesota. Mimi Parker est décédée en novembre 2022, et White Roses, My God est le premier projet musical que Sparhawk a entièrement réalisé depuis la perte de son âme sœur. Cette absence imprègne l’album et inspire le virage sonore singulier qu’a pris Sparhawk : une boîte à rythmes, un synthétiseur et sa voix, transformée par une pédale TC Helicon VoiceTone C1.
Mais comme le reconnaît Sparhawk lors d’un appel Zoom aux côtés du producteur de l’album, Nat Harvie, une perte aussi monumentale n’est jamais une expérience unidimensionnelle. Des éclats de joie surgissent tout au long de l’album, notamment dans"I Made This Beat"."C’est une sorte de défi", suggère Harvie à propos de la chanson.
"C’est un défi contre le deuil", confirme Sparhawk."Un défi contre ton propre sentiment d’insuffisance, contre ce que tu penses être capable de faire. C’est ce moment créatif où tu te surprends toi-même. Le deuil, c’est tellement complexe, mec. Il y a des vagues de joie, de gratitude, de peur, de colère, de défi. Parfois, dans cet album, j’ai l’impression de faire un battle rap contre l’univers."
"Pour moi, les moments joyeux de l’album ressemblent à un retour au corps après avoir été piégé dans l’esprit", ajoute Harvie,"à simplement passer des heures à écouter ces beats simples mais puissants."
La palette purement électronique de White Roses, My God risque de surprendre les fans de longue date de Low. Le duo a repoussé les limites tout au long de sa discographie de près de 30 ans, explorant les riches possibilités tonales des pédales de guitare et intégrant des textures de beats et de synthés dans leurs œuvres ultérieures. Mais ils n’ont jamais poussé aussi loin que Sparhawk dans cet album, notamment avec le traitement de la voix. En poussant l’auto-tune à de nouveaux extrêmes, la voix de Sparhawk devient une entité méconnaissable, presque cartoonesque, virevoltante et vacillante à travers les corrections rigides de la pédale C1. Pourtant, pour l’auditeur, la nouveauté excentrique de cette approche se transforme rapidement en une expression émotive et captivante.
"Quand j’ai commencé à travailler sur ces morceaux, c’était super informel", révèle Sparhawk."Je jouais surtout avec le matériel que mes enfants utilisaient, et la pédale vocale me paraissait être un gadget amusant — du genre :"Haha, tu chantes dedans et ça sonne bizarre."Au début, je me demandais :"Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que je me cache derrière cette voix ?"Et oui, il y a un peu de ça. Mais plus j’improvisais, plus j’étais surpris de ce qui sortait de moi. Au départ, ça ressemblait à un costume, mais je me suis rendu compte que je pouvais dire des choses qui semblaient authentiques. Et il y avait cette montée d’excitation à chaque fois, comme si c’était vraiment quelque chose. Ça ressemble à un masque, mais comme c’est toi qui le contrôles, ça devient vite très personnel."
White Roses, My God regorge de paroles directes et émotionnellement brutes, notamment sur Heaven, tandis qu’ailleurs, Sparhawk s’amuse avec des mantras et des images plus abstraites. Dans Feel Something, le refrain relativement simple commence par"Can you feel something here?"et évolue subtilement en"Oh, I can feel something here."Cela ressemble autant à une réflexion sur la nouvelle pratique musicale synthétique de Sparhawk qu’à son état émotionnel, à la recherche du cœur humain dans un son façonné par les machines. Une partie du charme de la pédale C1 réside dans ses failles et ses imperfections, qui permettent à l’humanité de Sparhawk de transparaître. Pendant ses longues sessions d’improvisation avec la pédale, il a appris à repérer les limites et les particularités du matériel qui donnaient des résultats intéressants.
"La voix est quelque chose de tellement intime", explique-t-il."Même si tu n’es pas chanteur, tu as cette connexion avec les petits muscles subtils qui modifient ta voix. Avoir quelque chose qui réagit si rapidement à ces paramètres, c’est devenu un instrument à part entière, et une amplification des possibilités d’improvisation. Il y a des petites aspérités. Elles sont très humaines, que ce soit une note qui lutte pour se transformer en autre chose, ou des tonalités que tu lui envoies et qui la perturbent. On peut trouver des endroits où l’on surfe sur ce fil, et s’en servir comme la clé de l’instrument."
"Ce genre d’utilisation détournée et générative de la technologie n’aurait pas été possible si on l’avait utilisée seulement comme un simple effet", ajoute Harvie."Ce n’est pas quelque chose que nous avons ajouté à la voix d’Alan. Aucun morceau de cet album ne contient une version brute et pré-auto-tune de sa voix."
La pédale vocale n’était qu’un élément de l’alchimie musicale qui s’est opérée lorsque Sparhawk a pris cette nouvelle direction. Les deux instruments principaux qui composent la majeure partie des rythmes et des mélodies de l’album sont la boîte à rythmes Roland TR-8S, qui figure même sur certains des derniers albums de Low, et un monosynthétiseur Novation AFX Station, qu’il a acheté d’occasion dans un magasin à Duluth."Je crois que je connais la personne qui avait le Novation avant moi", plaisante-t-il."Elle avait vraiment trituré les préréglages, mais j’ai pu passer en revue et trouver quelques patches propres."
Il n’y avait pas de grand plan au départ. Le matériel était branché, et Sparhawk lançait l’enregistrement avant d’improviser des patterns de boîte à rythmes et des lignes de synthé pendant une ou deux heures. Lorsque la pédale vocale a été intégrée au processus, il est rapidement devenu évident que quelque chose de concret émergeait au milieu des longues improvisations enregistrées. Environ un mois après avoir commencé à explorer ces idées, Sparhawk a réalisé qu’il avait besoin d’un regard extérieur pour trier et identifier les éléments tangibles. Il a fait écouter une partie à Harvie, qui avait déjà mixé et réalisé d’autres projets locaux auxquels Sparhawk avait participé, et l’album a commencé à prendre forme au fur et à mesure qu’ils collaboraient pour affiner l’essence du son.
"J’avais à peu près la moitié du matériel avant que Nat et moi ne commencions à travailler ensemble dessus", explique Sparhawk."À ce moment-là, j’étais en plein dedans, en train de produire sans arrêt. Une fois que nous avons commencé à travailler, en quelques semaines, j’ai finalisé davantage de morceaux, et il y a peut-être deux chansons qui ont émergé d’un montage. Je me souviens avoir pensé :"OK, ça pourrait devenir un album. Voyons si d’autres morceaux voient le jour.""
"Alan traitait l’ordinateur comme un magnétophone", raconte Harvie."Je regardais une prise d’une heure, je repérais les transitoires pour voir où se trouvaient les voix. Alan me montrait les parties qu’il aimait, puis je les importais dans Live et les découpais un peu. Mais on s’asseyait ensemble pour trouver les éléments essentiels. Mon rôle en production consistait moins à ajouter des parties qu’à soutenir les moments-clés—ces instants que nous voulions agrandir ou minimiser. Très tôt dans le processus, il est devenu évident que l’objectif n’était pas de réorganiser ces idées en chansons, mais d’utiliser l’idée d’une chanson pour rendre l’esprit originel de ces morceaux plus lisible."
Une des embûches constantes du processus de production est la distance qui peut s’installer entre l’étincelle d’une idée originale, souvent improvisée, et un processus de production laborieux qui finit par en perdre l’essence. Tout au long de White Roses, My God, on ressent une forte impression d’immédiateté brute, comme si l’on entendait les chansons telles qu’elles avaient été initialement conçues sur le moment. Bien qu’il confesse une profonde admiration pour le dub et l’idée d’éléments musicaux malléables, Sparhawk savait que ce n’était pas l’approche dont ce projet particulier avait besoin.
"J’ai senti très tôt qu’il y avait quelque chose là", explique Sparhawk."Et cela avait beaucoup à voir avec ces outils, et avec le fait que j’étais spontané et que je respectais ce qui surgissait de moi. Au lieu de me dire :"OK, c’était sympa, essayons de faire un meilleur beat", il s’agissait vraiment de respecter ce moment où quelque chose sort de toi. Certaines choses qui sont apparues dès le début m’ont vraiment surpris, et je me suis dit que si je revenais dessus pour tenter de les reproduire, je risquais de perdre la puissance de ce moment si fort."
En plus de préserver l’intention et la structure des patterns rythmiques et des sonorités synthétiques dans leur forme la plus fidèle, on remarque à quel point le son final de l’album est immédiat et proche. Quand on improvise avec du matériel, il est facile de perdre l’énergie viscérale du son brut qui sort directement de la console pendant le processus d’enregistrement. Il faut donc la bonne approche en post-production pour restituer cette vitalité dans des éléments sonores aussi bruts. Tout en admettant avoir"brisé"certaines règles perçues du mixage pendant la réalisation de l’album, Harvie attribue une grande partie de l’impact direct de White Roses, My God au travail de mastering.
"Pour le mastering, nous avons travaillé avec une ingénieure basée à New York, Heba Kadry", explique Harvie."On est venus à elle avec un brief un peu étrange, en disant :"Nous voulons vraiment que vous laissiez votre empreinte sur cet album, et que vous poussiez ces mixages aussi loin que possible."Elle a vraiment relevé le défi, et un caractère unique a émergé de son travail sur l’album."
Aujourd’hui, ce caractère se manifeste sur scène. En tant que performeur de longue date, il était naturel pour Sparhawk d’emmener l’album en tournée. Mais ce changement radical de direction a nécessité une approche complètement nouvelle. Son groupe, réduit, inclut son fils Cyrus à la basse et Al Church à la batterie. Mais au premier plan, c’est Sparhawk lui-même, mettant sa guitare de côté, déclenchant des boucles et des stems depuis un 1010 Music Blackbox, et chantant à travers la pédale C1. Comparé au calme atmosphérique qu’il projetait sur scène avec Low, jouer sans guitare entre les mains l’a obligé à repenser complètement sa façon de présenter sa musique et lui-même.
"Pour quelqu’un qui est très habitué à la guitare, à la basse, à la batterie, et à une approche presque acoustique, c’est très différent", dit-il."J’adore cette approche. C’est quelque chose sur lequel j’ai passé beaucoup de temps, mais se retrouver un peu plus seul avec juste son corps et un micro, c’est vraiment fou. C’est un sacré saut…"
"Tu donnes tout, pourtant", réplique Harvie. En regardant des vidéos d’une performance récente de nouveaux morceaux comme Get Still et I Made This Beat, il est évident que Sparhawk s’investit pleinement dans son rôle d’homme seul avec un micro, projetant toute la joie que cette musique lui inspire.
"Oui, j’essaie", répond-il en haussant modestement les épaules."Je comprends pourquoi un artiste vieillissant pourrait être un peu plus réticent à abandonner les outils qu’il a toujours utilisés, mais des choses excitantes se produisent quand on prend des risques."
C’est une attitude inspirante pour n’importe quel artiste, et encore plus pour quelqu’un avec l’héritage considérable de Sparhawk. Pourtant, sa musicalité n’est jamais restée figée dans un seul mode trop longtemps.
"Par inadvertance", ajoute-t-il avec un sourire en coin,"je prends en fait beaucoup de plaisir à rejouer de la guitare ces derniers temps."
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Texte et interview : Oli Warwick