Ah! Kosmos & Hainbach: faire retentir les sirènes
À l'origine, c'est un générateur de mots HP 8060A (un obscur appareil de test de télécommunication datant des années 1970) qui a réuni Ah! Kosmos (Başak Günak) et Hainbach (Stefan Goetsch). Après s'être rencontrés au départ pour discuter de leur amour partagé pour cet appareil étonnamment musical, les sessions d'improvisation du duo qui ont suivi les ont conduits à leur premier LP, Blast of Sirens.
Lorsqu'il n'est pas en tournée, Stefan part à la recherche des synthétiseurs les plus rares pour sa chaîne YouTube extrêmement populaire, tandis que Başak compose des musiques de film et est une artiste de scène très recherchée – elle s'est déjà produite dans des festivals tels que Sónar et CTM et a joué en première partie d'artistes comme James Holden et Julia Holter.
Dans leur premier LP, on peut entendre de l'électro-acoustique cosmique, effervescente, un travail au synthé très puissant et des nuages d'ambiance cinématiques qui se tiennent à la frontière entre ombre et lumière. En cours de route, le duo s'est offert un petit voyage d'étude pour se familiariser avec un synthétiseur très rare : l'ARP 2500, un instrument qui a donné un caractère très particulier aux morceaux de l'album et dont vous pourrez trouver des samples à télécharger gratuitement ci-dessous. Dans cette interview, les deux artistes nous racontent le processus de création de leur premier album et les découvertes sonores qu'ils ont faites en chemin.
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*Requiert une licence Live 11 Suite ou la version d'évaluation gratuite.
Bonjour Başak et Stefan. Pouvez-vous nous dire comment a débuté votre collaboration?
Stefan: On a les mêmes goûts et on s'est retrouvés dans un fil de discussion sur Instagram consacré au générateur de mots Hewlett Packard HP 8006A. Il se trouve que j'en possède un, et Başak aussi, et on adore tous les deux chercher des instruments non musicaux capables de produire de la musique expérimentale. Quand on s'est rendu compte qu'on vivait dans le même quartier, on s'est retrouvés autour d'un café et puis on a commencé une session en studio. On s'est dit "Allez, on joue !", et puis on a essayé tout le matériel que j'ai dans mon studio – c'est l'un des avantages d'avoir sa propre chaîne YouTube. On a bien aimé ce qu'on a entendu lorsqu'on faisait des expérimentations, alors on s'est revus pour faire des sessions, et c'est devenu la base de notre album Blast of Sirens.
Başak: Pour notre "session café", on a surtout parlé et rigolé, mais il n'était question que de son en studio. Sur le ton "Oh, qu'est-ce que c'est ? Il fait ce genre de son ? On l'essaie et on enregistre !" Le choix des sons s'est fait en toute simplicité. On prenait alors des parties et on se mettait immédiatement à les arranger à la volée, en superposant divers éléments. Après plusieurs sessions comme celle-ci, on s'est posés autour d'un café, on a pris du recul par rapport aux morceaux, et on a décidé comment on allait les faire fonctionner ensemble dans le contexte d'un album. Avoir du "choix" de morceaux, c'était un processus bien plus important. On a commencé à se demander si une chanson était bien ou s'il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas bien dans son arrangement et qu'on allait devoir rectifier. Au bout du compte, on n'a pas changé grand-chose et on s'est contentés d'ajouter quelques couches supplémentaires. Changer d'endroit et prendre de la distance par rapport à nos chansons nous a beaucoup aidés.
Stefan: Pour avoir une "vue d'ensemble", on allait toujours chez Başak. Comme mon studio fait pas mal penser à un "terrain de jeu créatif", se demander dans quelle direction on avait envie de partir avec l'album sur le plan du son paraissait plus facile là-bas. Comme nos studios ne sont pas très éloignés l'un de l'autre, on avait toujours la possibilité de changer de lieu rapidement. Ainsi, on évitait au passage de confondre le processus créatif consistant à faire de la musique avec les réflexions à mener sur la poursuite des enregistrements.
Vos premiers enregistrements ne figurent même pas sur l'album. Est-ce que cette "phase de rodage" est nécessaire avant de pouvoir exprimer une "voix artistique" commune?
S: Absolument. C'est pour ça qu'on a réparti les morceaux de nos sessions d'improvisation en trois catégories : les morceaux qu'on n'aimait pas ; les morceaux qui étaient bons mais qui n'étaient pas adaptés au contexte du LP ; et enfin les morceaux qui nous plaisaient et qui collaient bien au contexte de l'album. Il nous a fallu un moment pour déterminer ce que cela signifiait à nos yeux, et je me souviens que "Brute Heart" a été le premier morceau dont on a estimé qu'il relevait de la troisième catégorie. Il y avait deux éléments centraux typiques dans ce morceau. Tout d'abord, les sons du Axel Line Simulateur – un outil de télécommunication dont jouait Başak. Elle en a tiré ces petits rythmes, qu'elle a ensuite édités quelque chose de cinglé. J'ai en quelque sorte "entendu" ces accords au piano dans ce son rythmique, et puis je les ai enregistrés. Soudain, on s'est dit : "Oh, voilà un morceau qui surgit !"
B: On tenait notre premier morceau, il était très percutant. Il y avait d'autres morceaux basés sur des field recordings qui sonnaient plus "ambient", mais qui ne semblaient pas apporter la même intention à l'histoire que l'on souhaitait raconter.
Comment avez-vous préservé la cohésion du son, vu que vos séances d'enregistrement se sont réparties sur toute une année?
B: Ce qui a le mieux marché, c'était de se retrouver uniquement pour faire de la musique et de parler de l'album ensuite. Comme ça, on restait dans un "bac à sable créatif" plutôt que de se prendre la tête sur la façon dont le cinquième morceau du LP devait sonner durant nos sessions. Écrire et accumuler d'abord, décider et conceptualiser ensuite. Ainsi, on ne stressait pas à se demander si ce que l'on faisait allait coller quelque part ou non. On était simplement dans l'ambiance de notre musique, sur l'instant. La cohésion s'est développée avec le temps, même si on n'arrêtait jamais de produire de nouveaux morceaux. On peut aussi trouver quelques "suppléments tardifs" sur l'album. La prise de décision quant à la sélection des morceaux et l'ordre dans lequel les enchaîner sur le LP a en fait été la partie la plus difficile, et cela nous a pris plusieurs mois.
Qu'est-ce qui est le plus important, quand vient le moment de prendre ces décisions?
B: Il faut être honnête vis-à-vis de soi-même et se demander si on aime vraiment un morceau et si on le trouve satisfaisant. Pour mes sorties en solo, j'ai besoin d'avoir soit une histoire qui reflète une situation ou une émotion que j'ai traversée, soit un son qui me touche d'une façon ou d'une autre. Travailler avec quelqu'un d'autre facilite la prise de décision puisqu'on commente mutuellement les morceaux. Un autre facteur d'importance était de ne pas insister si l'un de nous deux n'était pas convaincu par une certaine chanson que l'autre aimait bien. C'est de trouver ce terrain d'entente qui a constitué la clé d'une bonne collaboration.
S: Au bout d'un moment, on finit par avoir un "feeling" sur les morceaux qui vont bien marcher ensemble. On aurait pu partir dans une direction totalement différente avec l'album. À un moment donné, tout le LP sonnait comme notre morceau "Davolia", qui évoque les bandes originales de films d'horreur italiens des années 1970. Alors on s'est regardés et on s'est dit : "C'est cool, ça nous plaît, mais ce n'est pas du tout ce qu'on a envie de raconter !" Ce n'était pas censé être la bande originale d'un film qui n'existe pas. On voulait quelque chose d'"autonome" à la place, avec des éléments qui tiennent debout tout seuls, même s'ils fonctionneraient bien individuellement dans le contexte d'une musique de film.
Vous avez déclaré que les meilleurs moments de l'album se sont produits quand vous étiez tous les deux sur le même instrument. Est-ce dû uniquement à l'énergie de deux artistes travaillant dans la même pièce, ou est-ce davantage le fait d'une interface particulièrement engageante sur un instrument donné?
S: Ça dépend. Le Moog Sonic Six, pour prendre un exemple, n'est pas équipé en MIDI, il n'est pas franchement fonctionnel et on peut difficilement le suivre au-delà de 12 ou 14 notes. Alors il faut être vraiment précis et on ne peut faire des modulations que si l'un de nous deux tourne les boutons pendant que l'autre joue du clavier. Différentes personnes vont créer des sons différents…
B: Si l'un de nous jouait un son qu'on aimait tous les deux, la modulation était "transmise" à l'autre – "Comment tu trouves ce son?"
Quels éléments de votre configuration ont joué le rôle le plus important pour ne pas perdre le "flow"?
B: La partie logicielle était cruciale pour moi. J'interrompais toujours Stefan pour lui dire : "OK, ça sonne bien, on le garde et on en tirera quelque chose à l'édition."
S: Ma façon d'utiliser mon studio, en général, consiste à l'arpenter, à créer des sons et à enregistrer un fichier stéréo. Il n'y a rien de mal à enregistrer sur deux pistes, mais grâce à notre collaboration, j'ai vraiment repris conscience des possibilités offertes par l'édition. C'est pour ça que j'ai commencé à répartir de nouveau les éléments en enregistrant six pistes simultanément dans Live durant nos sessions. Avec autant de sources sonores à disposition, il aurait été stupide de tout enregistrer dans un fichier stéréo et de se priver de la possibilité d'éditer une grosse caisse individuellement.
On est tous les deux à l'aise avec Live, alors on pouvait facilement faire passer les sessions d'un studio à l'autre. Başak est plus rapide que moi lorsqu'il s'agit d'éditer. Pendant longtemps, j'ai utilisé Live avant tout comme un gros enregistreur, mais j'ai désormais renoué avec mon amour pour ses capacités en matière d'édition.
Başak, vous avez une liste de choses à faire ou ne pas faire concernant l'édition et l'automation dans Live?
B: Séparer les pistes est très important, surtout quand il s'agit d'appliquer de l'EQ et des changements de volume. J'ai consacré suffisamment de temps à la prise de décision et aux pauses café. Dans le même temps, il était important que la timeline reste exactement à la même position afin de ne pas perdre le fil ni devenir dingue. Comme on n'utilisait pas d'horloge, le montage était relativement difficile. Chaque élément se trouvait dans son propre flow, mais sans pour autant être sur le temps.
S: L'horloge du matériel de test était super précise, mais on ne voulait pas utiliser d'horloge externe. À la place, on se servait de la fonction "Tap Tempo" dans Live tout en se demandant si ça collait bien. Parfois, le flow changeait très rapidement ; un son joyeux, très fort, qu'on avait enregistré débarquait avec fracas, puis il y avait un drop et on se demandait : "Qu'est-ce que c'est que ça ? Ça sonne bien, on le garde !" C'était super d'avoir des surprises de ce genre à cause de mon workflow de studio, mais au bout du compte, il fallait aussi trouver un équilibre entre nos deux façons de travailler individuelles, qui sont différentes.
Quels éléments de Live avez-vous utilisés, et quels autres logiciels ont joué un rôle?
B: Dans le studio de Stefan, on se reposait principalement sur les compresseurs et outils de saturation internes à Live, tandis que j'utilisais les GRM Tools de l'INA et les plug-ins Waves et Slate pour le processus de mixage.
S: On s'est aussi servi de certains des plug-ins que j'ai développés avec Audio Thing pour l'enregistrement, en particulier Noises et Wires, dont j'imagine que chacun les utilise à sa façon. Başak aime bien utiliser Wires pour les petits sons de transition, mais Ólafur Arnalds m'a dit qu'il s'en sert principalement pour que ses caisses claires aient un son légèrement différent. J'utilise davantage le plug-in à la façon de mon enregistreur sur fil magnétique des années 1970 qui me sert d'écho.
Sur quoi avez-vous dû garder l'œil durant le processus d'enregistrement au moment d'enregistrer les pistes dans l'ordinateur?
B: On ne respectait pas toujours les "règles" de l'ingénierie audio. Si le signal qu'on enregistrait était trop "hot", ce n'était pas grave. Si on était pressés, il nous arrivait même parfois d'enregistrer avec un iPhone. Il convenait parfois assez bien à nos morceaux à cause de sa compression intégrée. On ne voulait pas se limiter à travailler en suivant scrupuleusement les règles. Si vous avez peur de faire des erreurs, il n'arrivera jamais rien d'inattendu, et parfois, quelque chose qu'on pourrait qualifier d''erreur" peut s'avérer un très bon son.
S: Travailler avec du matériel de test vous donne envie de regarder l'oscilloscope pour voir s'il ne se produit pas une étrange modulation croisée. Et puis, il y a des "bips" qui se produisent spontanément au-delà de 20 KHz. Nous, on ne les entend pas, mais les chiens, eux, ça les fait flipper. Et puis il y a les sautes soudaines de CC, pour lesquelles j'utilise des filtres passe-haut à lampes.
Parlons de votre "voyage d'étude" à Bois-le-Duc, aux Pays-Bas, où vous avez eu la chance de travailler avec l'ARP 2500, désormais très dur à trouver, aux Willem Twee Studios. Ce synthé a été utilisé par Aphex Twin et Kraftwerk, mais aussi dans des bandes originales de films de Steven Spielberg.
S: Cette machine a un son merveilleux, mais ce n'est pas le synthé le plus flexible qui soit. Il n'y a "que" 16 routages de modulation qui fonctionnent via des commutateurs matriciels. On a utilisé le 2500 sur le morceau "Sirens Between" de notre LP, et on n'a toujours pas fini de trier tout ce qu'on a enregistré avec. C'est certainement un synthétiseur dont on peut jouer à plusieurs, même s'il faut beaucoup d'espace pour cela.
On a passé quatre jours au total à enregistrer aux Willem Twee Studios. On visitait et on travaillait dans un studio différent chaque jour. Je n'ai jamais eu l'occasion d'enregistrer un Minimoog avant, par exemple, et j'étais content aussi de mettre la main sur leurs deux ARP 2600, les EMS Synthi AKS et le Sequential Circuits Prophet 5, qui convenaient parfaitement à notre musique.
B: Il y a de cela quelques jours, j'écoutais l'une de nos chansons avec le Prophet 5, et il a vraiment un son génial ! J'ai aussi adoré travailler avec l'ARP 2500 dans la mesure où c'est si difficile d'en trouver un de nos jours.
Quel synthé vintage a joué un rôle particulièrement important dans la production de Blast of Sirens?
S: On a utilisé le Moog Sonic Six sur plusieurs chansons, mais le Welson Syntex, un synthé monophonique italien, s'est vraiment distingué du lot. C'est une machine relativement rare dont on s'est servi pour les rythmes via sa fonction "Music Random". Il suffit d'appuyer sur un bouton pour qu'il commence à moduler ses filtres et oscillateurs avec un "Sample & Hold". Les résultats sont des grooves "liquides" absolument fascinants, dont on s'est servi pour le morceau "Flares Up". C'est un appareil franchement sous-estimé que peu de gens connaissent. Il fait penser à un orgue et il a un son très brut absolument dingue.
B: J'ai fini par apprécier le Sonic Six et je suis tombée amoureuse du Synthi AKS.
Qu'est-ce qui est le plus fascinant dans les synthés vintage à vos yeux?
S: Pour moi, ça commence par l'interface. J'ai une ambition assez étrange qui est d'arriver au jour où j'aurai joué de tous les instruments électroniques que je trouve séduisants à leur façon et de pouvoir dire: "C'est bon, je connais cet instrument et je sais ce qu'il procure comme sensation." Généralement, la combinaison d'une excellente interface et de son rend une machine attrayante à mes yeux. Du point de vue d'un travail avec quelqu'un d'autre, c'est franchement cool quand on peut jouer de l'instrument tous les deux en même temps. Je possède un Synthi AKS et je pense que c'est un très bon exemple d'instrument dont on peut jouer ensemble, qui est une approche bien plus ludique que de parcourir les presets. Cela vous donne des idées complètement différentes, ce qui est très important.
Et puis, on n'a pas utilisé de MIDI du tout sur l'album parce que je n'ai pas encore MIDI-fié mon studio. Cela donne une autre couleur aux éléments séquencés. Et il y a ces endroits évidents dans une chaîne de signal analogique où la distorsion peut se manifester : tout d'abord, l'instrument lui-même, mais aussi la console de mixage, les unités d'effets ou les lampes et compresseurs sur le bus master qui peaufine le son. Et même si on peut le faire aussi dans le domaine numérique, la marge de manœuvre est beaucoup plus réduite.
B: Bien sûr, les synthés analogiques comme le Minimoog et le Prophet 5 ont leurs limites, avec lesquelles on est obligé de composer. Mais même s'ils se désaccordent pour quelques notes, cela peut ajouter un petit "je ne sais quoi" au morceau. C'est difficile de reproduire ça avec de l'automation.
Une question un peu décalée pour conclure. Quels sont les trois outils ou instruments que vous emporteriez avec vous sur l'île déserte pour faire de la musique et produire?
B: Pour moi, ce serait un laptop avec Ableton Live, le Synthi AKS et une guitare.
S: Probablement un iPad avec Fluss, l'appli que j'ai développée en collaboration avec Bram Bos. Il se trouve qu'il y a aussi une vidéo sur ma chaîne YouTube dans laquelle je produis de la musique sur une île avec cette configuration et un sampler Casio SK-1. Si je pouvais partir sur quelque chose de plus inattendu, je prendrais un Yamaha VSS-30 au lieu du Casio. L'élément principal serait une sorte de sampler lo-fi en plus du Synthi AKS. Ce serait une configuration atomique, je pourrais vendre le reste de mon équipement et faire toute la musique dont j'ai envie avec [il rit].
Interview et texte : Elmar von Cramon